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21 février 2013

Donnons des objectifs politiques clairs à la formation des maîtres

humanitePar Bertrand Geay, sociologue, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Picardie, membre du Front de gauche de l’éducation.

Vincent Peillon a-t-il pris la mesure des enjeux relatifs à la formation des personnels de l’enseignement ? Rien n’est moins sûr. Il est pourtant peu de sujets aussi décisifs pour l’avenir de l’école. Et peu qui aient autant divisé dans la période récente. La « mastérisation » à 
la mode de Valérie Pécresse a non seulement liquidé l’essentiel du dispositif de formation mais l’a constitué en enjeu des conflits d’intérêts entre facultés, conflits s’ajoutant aux traditionnelles divergences entre niveaux d’enseignement. Faudrait-il choisir entre savoirs et pédagogie ? Entre formation 
« générale » et formation « professionnelle » ? Entre un recrutement des enseignants dans toutes les classes sociales et une formation de haut niveau, de type master ?

Il s’agirait surtout de se donner des objectifs politiques clairs. L’enjeu est de doter le pays d’un système de recrutement et de formation des personnels de l’enseignement qui contribue à la lutte contre la reproduction des inégalités socioscolaires et propose des perspectives ambitieuses en termes d’émancipation et de démocratisation. Déjà, 
l’intégration aux universités des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), sous Nicolas Sarkozy, avait été conduite à la petite semaine. La préoccupation dominante des gouvernants était alors d’inclure les instituts au grand Meccano des réformes universitaires, avec leurs prétendues « économies d’échelle » et leurs vraies lourdeurs bureaucratiques. Les cursus d’accès et le contenu des formations n’avaient pas été repensés. On n’avait nullement tenté d’améliorer les conditions pratiques de l’initiation aux métiers, qui avaient pourtant été l’objet de tant de critiques dans les années qui avaient précédé.

L’un des enjeux décisifs de la réforme des modes de recrutement et de formation des personnels est d’assurer leur maîtrise des savoirs scolaires et des manières de les enseigner. Enseigner la langue française ou les mathématiques dans l’enseignement secondaire nécessite un haut niveau de qualification dans ces disciplines et une bonne connaissance des manières dont ces savoirs doivent être transformés en objets d’apprentissage. Enseigner ces deux disciplines et bien d’autres dans l’enseignement primaire exige tout autant un haut niveau de maîtrise des savoirs disciplinaires et didactiques. Et il n’est pas certain qu’un vernis de connaissances acquis de manière accélérée dans les quelques mois de la préparation d’un concours ou d’une formation professionnelle puisse garantir ce type d’exigences. De ce point de vue, il n’y a rien de plus urgent que d’engager une réflexion avec les universitaires et avec les professionnels aussi bien sur les cursus d’accès que sur les diplômes préparant aux métiers de l’enseignement.

De la même manière, la place de l’initiation à la recherche dans la formation des personnels mérite d’être précisée pour en constituer un véritable atout – loin de ces véritables pensums que constituaient souvent les mémoires professionnels. La proximité avec la recherche universitaire dans toutes les disciplines devrait offrir la possibilité pour les personnels en formation d’acquérir une autonomie dans la maîtrise des enjeux épistémologiques des disciplines d’enseignement et/ou des enjeux sociaux, psychologiques et philosophiques de l’acte d’enseigner. Dans ce cas, c’est surtout la diversité de l’offre scientifique qui doit être intégrée au dispositif de formation, en donnant par exemple l’opportunité de participer à une démarche d’enquête, à un dispositif expérimental ou à une réflexion sur la manière d’appliquer les résultats de la recherche en physique ou en histoire aux contenus et aux méthodes d’enseignement.

Mais la réforme de la formation restera à l’état de collection de vœux pieux si l’on ne règle pas aussi la question de sa dimension pratique. Enseigner s’apprend. Et apprendre à enseigner demande du temps, des allers et retours entre préparation, application et réflexion critique. Là aussi, un bilan équilibré des atouts et des échecs des formations en IUFM devrait conduire à être particulièrement vigilant sur les conditions d’études et de formation. La mise en place de stages accompagnés, avec prise en main progressive des classes, devrait permettre d’acquérir les gestes élémentaires des métiers, par étapes, des premiers temps de la formation à l’année de stage. Cela suppose de proscrire toute utilisation des stagiaires comme moyens d’enseignement, d’améliorer le régime des bourses étudiantes et de mettre en place de véritables prérecrutements, qui permettent aussi bien d’assurer des conditions d’études correctes que de diversifier le recrutement social des personnels. Une formation pratique au long cours, progressive et systématique, est la seule manière d’ouvrir les futurs enseignants et éducateurs à toutes les dimensions de leurs futurs métiers : transmission des savoirs, gestion de la classe, connaissance de la diversité des contextes d’enseignement, échange de savoir-faire entre pairs, participation à la vie des établissements et des professions. Et de les rendre par là même disponibles aux enjeux théoriques et critiques qui traversent leurs futures activités professionnelles. Sans quoi on verra, comme par le passé, se mettre en place le même rejet de tout ce qui excède le « pratico-pratique ».

Enfin, un tel modèle de formation, fondé sur le professionnalisme et l’autonomie intellectuelle, suppose des conditions institutionnelles adéquates. On voit mal de ce point de vue ce qui justifierait de mettre en place des structures totalement dérogatoires aux règles de collégialité qui prévalent dans les traditions universitaires. Le poids des personnels hiérarchiques de l’administration de l’éducation nationale dans les instances statutaires doit de ce point de vue rester raisonnable, du même niveau que celui des autres services publics ou des entreprises dans les autres formations professionnelles des universités. Il s’agit en revanche de veiller à ce qu’une place reconnue soit réservée dans les formations pour des personnels des premier et second degrés dont les qualités professionnelles sont reconnues par leurs pairs. Et il convient de faire en sorte que les étudiants et personnels en formation, comme les professeurs qui les forment, soient totalement partie prenante du fonctionnement des instances et des formations elles-mêmes. C’est l’une des conditions pour que l’on cesse de se payer de mots en parlant, à longueur de déclarations et de textes officiels, d’autonomie professionnelle et de professionnalisation. 
Et pour donner à l’école de demain les 
couleurs de l’égalité et de l’émancipation.

 

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